La question des tickets-restaurants pour les télétravailleurs a récemment fait couler beaucoup d’encre. Et pour cause ! À quelque trois semaines d’intervalle, deux tribunaux saisis dans le cadre de deux affaires distinctes ont rendu des décisions contradictoires concernant la non-attribution de titres-restaurants aux salariés en télétravail. Alors que le premier confortait la pratique de l’entreprise, le second donnait raison aux télétravailleurs, ruinant toute chance de trancher clairement la question. Dans le présent article, nous nous intéressons à chacune des décisions rendues.
La restauration au travail pour « faire face au surcoût »
Avant la pandémie de la COVID-19, lorsque le site de travail n’hébergeait pas de restaurant d’entreprise, le groupe Malakoff Humanis accordait à ses salariés des tickets-restaurants. Mais, depuis mars 2020, le groupe a cessé leur attribution aux salariés exerçant à distance. Afin d’améliorer la situation de ces derniers, le syndicat Unsa Fessad a porté plainte contre Malakoff Humanis, plainte qui a donné lieu, le 10 mars 2021, à une décision du tribunal de Nanterre donnant gain de cause au groupe.
Pour motiver sa décision, le tribunal a relevé que les tickets-restaurants qu’attribuait Malakoff Humanis étaient fournis pour « faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile pour ceux qui seraient dans l’impossibilité de prendre leur repas à leur domicile ». Il estimait donc qu’en l’absence de ce surcoût, les salariés en télétravail ne pouvaient pas prétendre aux titres-restaurants.
Une décision contradictoire !
Le 30 mars 2021, une autre décision était rendue, cette fois par le tribunal de Paris. Le comité économique et social du groupe pétrolier Schlumberger et le syndicat Unsa Industrie et Construction avaient en effet saisi le tribunal afin qu’il se prononce dans une affaire de titres-restaurants qui les opposait au groupe susnommé. Comme dans le cas décrit précédemment, Schlumberger avait décidé de restreindre l’attribution des tickets-restaurants aux salariés travaillant sur site.
Dans la décision qu’ils vont rendre cette fois, les juges vont donner raison aux syndicats. Pour motiver leur décision, ils précisent que « les conditions d’utilisation des titres-restaurants sont tout à fait compatibles avec l’exécution des fonctions en télétravail puisqu’elles ont pour principe directeur de permettre au salarié de se restaurer lorsque son temps de travail comprend un repas, et qu’à ce titre, les télétravailleurs se trouvent dans une situation équivalente à celle des salariés sur site ».
QUELLE ANALYSE DE CES DÉCISIONS ?
Ce que dit la loi
Pour analyser les deux décisions, il est important de rappeler ce que prévoit la loi sur ce sujet. L’accord national interprofessionnel (ANI) sur le télétravail de 2005 stipule que « les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise », ce qui a été inscrit dans le Code de travail à l’article L.1222-9 : « Le télétravailleur a les mêmes droits que le salarié qui exécute son travail dans les locaux de l’entreprise. »
Selon ces dispositions, un employeur ne peut pas, en principe, traiter différemment ses employés. Toutefois, selon la jurisprudence, lorsqu’un employeur avance une raison pertinente et objective, une distinction peut être permise. Dans une décision rendue par la cour d’appel de Nîmes en mars 2012, il a été jugé qu’une entreprise pouvait n’accorder des tickets-restaurants qu’à condition que le domicile du salarié se trouve à plus de 10 minutes de trajet de son lieu de travail, les salariés dont le lieu de travail se trouve non loin de leur domicile pouvant rentrer chez eux pour déjeuner.
« Situation comparable », le nœud de la question !
Lorsque l’on analyse les deux décisions rendues en mars 2021, il apparaît clairement que la contradiction est liée à l’appréciation différente de la « situation comparable » évoquée par l’ANI sur le télétravail.
Dans la décision du tribunal de Nanterre, les juges considèrent un surcoût qui n’existe pas chez les télétravailleurs. En revanche, celle du tribunal de Paris est motivée par le fait que le repas se trouve au milieu du temps de travail du salarié, situation qui existe chez tous les salariés, peu importe où ils travaillent. Par ailleurs, dans le second cas, les juges ont peut-être considéré qu’un salarié en télétravail peut ne pas travailler depuis son domicile et donc ne pas avoir accès à un endroit pour cuisiner.
En tout cas, au regard des motifs avancés, les deux décisions respectent bien la loi. Il faudra donc attendre de nouvelles décisions pour être fixé. Comme l’a confié l’avocate en droit du travail Eva Kopelman au Parisien : « Seule une décision de la Cour de cassation pourra avoir un principe uniformisé et incontestable sur l’obligation pour l’employeur de délivrer des tickets-restaurants à ses salariés en télétravail ». Il reste donc à espérer que les parties fassent appel des décisions rendues.